Jonathan Iglesias, régulateur du jeu clermontois depuis 2016 |
Capitaine et numéro 10 du Clermont Foot, Jonathan Iglesias est aujourd'hui une valeur sûre du championnat de Ligue 2. Pourtant, son parcours n’a pas toujours été simple. De son repérage par un vendeur de vin à sa relation avec Pascal Gastien, l'uruguayen se livre avec la fraicheur et la bonne humeur qui le caractérisent.
« Comment vas-tu ? Comment se passe ton confinement ?
Ça va. La première semaine a été longue. L’éventualité d’arrêter la saison m’a mis un coup derrière la tête. Tu te dis que tu vas rester confiné et que même quand tu vas pouvoir ressortir, il n’y aura pas de foot. Mais bon, maintenant, les semaines sont passées, ils essayent de trouver une solution pour reprendre le championnat donc ça va. *
Cette façon de relativiser, c’est très sud-américain finalement. Justement, revenons là où tout a commencé, en Uruguay. Comment se passe ton enfance ?
Mon enfance est très compliquée, je viens d’une famille très pauvre. On a vécu la misère, on n’avait pas les moyens, pas toujours à manger. Le seul plaisir qu’on avait c’était de jouer au football. Hormis quand j’allais à l’école, je jouais toute la journée dans la rue. Petit, je voulais aller jouer dans un club mais mes parents n’avaient pas les moyens de me faire faire une pièce d’identité.
Un jour, alors que j’ai 11 ans, un gars qui vend du vin dans mon quartier vient me parler. Président d’un club, il m’explique qu’il me regarde souvent et qu’il aimerait que je vienne jouer dans son club. Je lui dis que j’aimerais beaucoup mais que je n’ai pas de pièce d’identité. Il me répond « Ne t’inquiète pas, je m’occupe de ça, je compte sur toi. » En rentrant chez moi, j’obtiens l’accord de mes parents. Le gars me fait la pièce d’identité, je commence le foot et ce qu’on appelle le « baby-foot » en Uruguay. Le club s’appelle Los Malos. Je commence attaquant (rires). Je fais mes années « baby-foot » à Los Malos. Ensuite, je reviens dans un club de mon quartier avant de partir à l’essai à Progreso qui est mon club formateur.
Tu évoques la pauvreté dans laquelle vit ta famille, tu as dû travailler dès ton plus jeune âge ?
Non, pas quand j’étais petit mais après quand j’étais adolescent oui. J’allais aux entrainements et après je travaillais à côté. J’ai été jardinier, livreur de pizzas.
Comment se passe ta formation ? Tu dois partir loin de ta famille ?
Non, c’était aussi dans mon quartier. Ce n’est pas comme ici (en France) où les gamins restent une semaine ou même parfois plus longtemps dans le centre de formation. Là-bas tu vas à l’entrainement puis tu reviens chez toi, un peu comme si tu allais à l’école. Il n’y a pas d’internats, etc…
Tu passes donc professionnel à Progreso qui est à l’époque en deuxième division uruguayenne. Comme beaucoup de sud-américains, tu rêves d’Europe ?
Oui, oui bien sûr.
En 2014, à 25 ans, Nancy te recrute. Comment ça se passe ? C’est Pablo Correa qui vient te chercher ?
Oui c’est ça. Pablo vient en Uruguay, on se rencontre. Il me dit qu’il aime bien ma façon de jouer, qu’il aimerait bien me faire venir à Nancy… Mon agent connaît bien Pablo, c’est lui qui l’a envoyé en France. Ils ont une bonne relation. Je sors d’une bonne saison avec mon équipe du Tanque Sisley. Je dis à mon agent que j’aimerais bien faire un pas dans ma carrière, aller dans un meilleur club en Uruguay. Il me répond : « Écoute Bocha (son surnom), il y a peut-être la possibilité d’aller en France et même si rien n’est sûr, commence à apprendre le français. » Je débute donc les cours de français. Un mardi, mon agent m’appelle pour aller manger un bout ensemble ». J’arrive au restaurant où il m’annonce : « Vendredi tu pars en France. »
Comment réagis-tu ?
Je suis choqué parce que je ne m’y attendais pas ou du moins pas aussi rapidement mais je suis surtout très content parce que c’est une très belle opportunité.
Comment se passe ton adaptation ? Ça n’a pas été trop difficile de quitter ton pays, ta famille ?
Non, pas vraiment. Quand tu arrives d’Uruguay où c’est plus galère, tu as toujours ce rêve de venir en Europe, que ce soit en France, en Italie ou en Espagne. Du coup tu as tellement d’envie et d’ambition que même si c’est parfois difficile, tu serres les dents, tu fais tout pour que ça se passe bien et pour t’adapter le plus vite possible. Personnellement, je n’ai pas mis longtemps à apprendre le français. Au bout de 6 mois, je pouvais avoir une conversation avec quelqu’un. Au niveau du football, les premiers mois ont été compliqués parce que ce n’était pas le même rythme, c’était plus physique. Sinon, en termes de température et d’alimentation, le changement a été brutal. Ici, on mange à 19h alors qu’en Uruguay, ce n’est pas avant 22h-22h30. Ce sont toutes ces petites choses auxquelles j’ai dû m’adapter pour que ça se passe du mieux possible.
Julio Iglesias sous le maillot de Nancy qu'il porte de 2014 à 2016. |
À Nancy, tu prends du plaisir avec Pablo Correa ?
Oui oui, bien sûr ! Pas le même plaisir qu’avec Pascal (Gastien) parce qu’ils ont deux philosophies différentes mais oui je prenais du plaisir parce que j’avais réalisé mon rêve de venir en Europe et il n’y avait que du positif pour moi. J’étais tellement content d’être là, je prenais du plaisir tout le temps, que ce soit à l’entraînement ou en match…même si ce n’est pas comme à Clermont… (rires).
Ça jouait moins au ballon ?
Oui, oui mais bon, j’ai aussi beaucoup appris…
Justement, tu évoquais Pascal Gastien tout à l’heure, quelle est ta relation avec lui ?
Déjà humainement, le coach est une très belle personne, très ouverte. Tu peux discuter avec lui de tout sans soucis, toujours avec respect. Ça fait 12 ans que je suis professionnel ; il y a des coaches avec lesquels tu ne vas pas parler parce que tu ne sais pas comment ils vont réagir. Pascal, c’est tout le contraire. Tu peux aller le voir, t’exprimer, lui dire ce que tu penses et lui, il va t’écouter. Après, pendant les entrainements, le ballon est toujours là donc tout le monde aime ça et même les joueurs qui ne sont pas concernés, qui ne jouent pas, qui ne sont même pas dans le groupe une fois dans l’année arrivent à prendre du plaisir. Ça c’est énorme ! Ça veut dire que le coach fait bien les choses. Si même le joueur qui ne joue jamais est content et que ça lui fait plaisir de venir à l’entrainement, ça veut dire que tes entrainements sont cools.
Les entraînements, un moment apprécié par Jonathan Iglesias et ses coéquipiers |
C’est ça qui fait que vous faites une très belle saison ?
Oui bien sûr, tout le monde va dans le même sens, que ce soit le coach, les joueurs ou le staff.
Même en termes de recrutement, on sait que le club travaille très bien. De nombreux bons joueurs sont passés par Clermont ces dernières années : Paul Bernardoni, Ludovic Ajorque ou encore Adrian Grbic aujourd’hui. Quel est le joueur le plus fort avec lequel tu as joué depuis ton arrivée à Clermont ?
J’aimais beaucoup Manu Perez (parti à Lens l’été dernier) parce qu’on s’entendait très bien tous les deux au milieu. Moi je l’aimais trop (rires) ! Sinon Franck Honorat (parti à Saint-Étienne l’été dernier) et Rémi Dugimont (parti à Auxerre en 2018), c’était pas mal aussi.
Et aujourd’hui, dans l’effectif actuel, qui est-ce que tu vois faire une grosse carrière ?
(Jim) Allevinah. C’est sa première saison en Ligue 2 donc il a des choses à améliorer et à corriger mais en tous cas il a les qualités pour aller loin.
Depuis ton arrivée il y a 4 ans, le groupe cette année est le plus fort ?
Je ne sais pas si c’est le plus fort. C’est un très bon groupe mais celui de la saison où on était proche de faire les play-offs (2017-18) était aussi très fort. On avait Bernardoni dans les buts, Ajorque devant… Cette année-là, le groupe était top. Disons que j’étais plus attaché à ce groupe-là. Il faut dire que c’est différent aussi. Cette saison, il y a beaucoup de gamins dans le groupe, la moyenne d’âge est nettement moins élevée.
Aujourd’hui, tu as 31 ans, tu te vois finir à Clermont ?
Oui pourquoi pas. Franchement je me sens tellement bien ici que si le club me propose de rester quelques années, ce sera avec plaisir.
Et pourquoi pas découvrir la Ligue 1 ?
Oui, c’est sûr ! Je devais déjà le faire avec Nancy mais ils ne m’ont pas conservé. J’ai encore les boules d’ailleurs. Si c’est avec Clermont, tant mieux. C’est le club qui m’a donné une deuxième chance.
Pourquoi ne t’ont-ils pas conservé à Nancy ?
Je ne sais pas. Que ce soit le coach ou les dirigeants, personne n’est venu me parler. Ça m’a vraiment énervé. Je voulais des explications mais je me suis dit que ce n’était pas à moi de les demander. Avec du recul, peut-être que j’aurais dû le faire. A l’époque, je me retrouve sans contrat. Pablo Correa me rappelle pour me dire de venir faire la préparation avec le groupe. Je m’entraine pendant 6 mois avec Nancy, sans contrat. Mentalement, cette période restera la plus compliquée de ma carrière. »
* L’interview a eu lieu avant la décision de ne pas reprendre les championnats.
Adrien Cornu
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